Caractéristiques d'un laboratoire de création
Répétons-le : il n’existe pas qu’une seule formule de laboratoire de création. Les modèles couronnés de succès sont multiples, allant du plus simple au plus complexe, et la bonne performance d’un modèle n’implique pas que sa reproduction rencontrera le même succès ailleurs.
On peut tout autant opter pour la plus grande simplicité et susciter une adhésion enthousiaste qu’offrir une très grande variété d’équipements et n’engendrer qu’un intérêt limité. Le succès d’un laboratoire de création tient avant tout à la correspondance entre les besoins réels des usagers et la capacité de l’institution à soutenir et accompagner ces derniers au regard des équipements et des activités.
Le petit truc spécial
Le petit truc spécial, c’est l’élément qui, dans un laboratoire de création, correspond parfaitement aux besoins et aux intérêts des usagers. C’est l’élément qui fait la différence. Il se caractérise donc par une définition multiple, qui varie dans chaque laboratoire de création.
Dans le cadre des phases exploratoires précédant la mise en place, à la Grande Bibliothèque, du Square Banque Nationale, un médialab réservé aux adolescents, BAnQ a visité six établissements situés dans trois États américains afin d’avoir une vision plus claire des philosophies derrière les médialabs ainsi que des structures, des équipements et des ressources requises :
Le TechCentral Makerspace, à la bibliothèque publique de Cleveland (Ohio);
Le YOUmedia Chicago, à la bibliothèque publique de Chicago (Illinois);
Les Digital Media Labs, à la bibliothèque publique de Skokie (Illinois);
Le ldeaBox, à la bibliothèque publique d'Oak Park (Illinois)
Hub, à la bibliothèque publique d’Arlington Heights (Illinois);
Le Bubbler, à la bibliothèque publique de Madison (Wisconsin).
On aurait pu s’attendre à ce que, la proximité géographique aidant, les intérêts et les équipements se ressemblent dans ces six laboratoires de création. Pourtant, dans chaque institution, les employés se sont empressés de souligner ceci : s’il y avait une seule chose sur laquelle BAnQ devait orienter sa programmation, c’était le petit truc spécial, qu’il fallait nécessairement y retrouver. Pour certains, il s’agissait de studios d’enregistrement et de postproduction orientés vers le rap. Pour d’autres, c’était des lieux orientés vers l’animation image par image (stop motion) ou vers la modélisation et l’impression 3D . Bref, c’est la clientèle locale qui a bien souvent défini la nature même de l’espace et de l’offre de services, délaissant parfois certains équipements plus spécialisés dont les coûts d’achat et d’entretien étaient pourtant plus élevés.
Les questions fondamentales qu’il faut se poser sont donc les suivantes :
Quelle est la raison d’être du laboratoire? Qui dessert-on et quels sont les besoins de cette clientèle?
Est-ce un lieu qui couvrira un spectre très large de fonctionnalités ou qui sera surtout orienté vers des fonctions de médialab ou de type Fab Lab ? Préfère-t-on une version hybride? Ou faut-il opter pour une tout autre orientation?
Mettra-t-on en place une mixité de technologies? Fera-t-on une place aux fonctionnalités plus traditionnelles (les métiers d’art, par exemple)?
Évidemment, les besoins de la clientèle peuvent être multiples, mais il demeure essentiel de tenter de définir le plus précisément possible la nature de ces besoins et ce qu’on attend prioriser.
Clientèles ciblées
Quelle est la clientèle du laboratoire? La réponse à cette question a un impact considérable sur la nature des lieux. Le laboratoire s’adresse-t-il à la population générale (qui est rarement homogène) ou à un groupe particulier? Y aura-t-il des plages horaires réservées à certains groupes précis ou verra-t-on toujours une variété d’usagers?
Si l’espace est orienté vers une clientèle précise, l’aménagement sera pensé en fonction de celle-ci, alors qu’une offre tournée vers l’ensemble de la population entraînera sans doute l’élimination d’aménagements trop spécialisés. Il faut cependant noter que plus le lieu est vaste, plus il peut accueillir de microcosmes adaptés aux particularités de différents groupes ciblés.
À titre d’exemple, on pourrait facilement imaginer un laboratoire de création s’adressant au grand public, mais comportant un espace de socialisation réservé aux adolescents. Si le laboratoire accorde une place d’importance aux usagers aînés, on portera sans doute une attention particulière au mobilier : on y retrouvera moins de tabourets hauts ou de fauteuils poires (Fatboy, bean bag) que d’éléments de mobilier plus ergonomiques et confortables.
Le tableau ci-dessous présente différents types d’usagers, quelques exemples de fonctionnalités qui correspondent à chaque type ainsi que les caractéristiques souvent associées aux lieux qui leur sont consacrés. Évidemment, ces regroupements demeurent très généraux.
Il est facile de se perdre dans une accumulation de fonctionnalités ou d’équipements, tout en ne répondant pas nécessairement aux besoins des usagers. Il est donc conseillé de ne couvrir que quelques fonctionnalités, mais de façon assez exhaustive, afin que les projets des usagers puissent atteindre un niveau satisfaisant d’achèvement. Par exemple, si on offre des caméras sur place, mais pas de micros, de système d’éclairage adapté, ni d’ordinateurs suffisamment puissants et équipés des logiciels permettant une postproduction de qualité, on risque de ne pas satisfaire les attentes et même de générer un sentiment de frustration.
Déterminer avec précision la mission du laboratoire suppose donc de se pencher sur la nature des processus de création qui sont visés et sur l’équipement technologique ainsi que les aménagements nécessaires. Mieux vaut souvent faire moins, mais faire bien!
Évidemment, malgré l’existence de toute une terminologie définissant des espaces homogènes et des fonctionnalités très distinctes (de médialab, de type Fab Lab, etc.), la réalité est rarement aussi tranchée, et on se retrouve souvent devant des combinaisons d’équipements et de fonctionnalités qui appartiennent à l’une ou l’autre des grandes catégories. Une grande proportion des laboratoires de création proposent de tels mariages (par exemple, des équipements de création médiatique qui côtoient des appareils de découpe de vinyle). Il est cependant essentiel de déterminer le plus précisément possible quels sont les points d’ancrage, la personnalité et l’identité de votre laboratoire de création à vous.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’aucun laboratoire de création n’évolue en vase clos. Il est donc particulièrement important de déterminer ce qui se fait ailleurs, en particulier dans l’environnement immédiat : cela peut conduire à mettre en place des fonctionnalités ou des équipements complémentaires à ceux des voisins afin de pouvoir s’intégrer au développement d’une expertise locale ou, au contraire, à s’en dissocier complètement ou partiellement afin d’offrir quelque chose de différent, d’unique.
Partager des fonctionnalités et des équipements avec les voisins présente de grands avantages : il est ainsi possible d’apprendre des autres en fonction de leurs essais et erreurs, de profiter de leur expertise et des fiches-projets réalisées, mais également de mettre en place des partenariats ou des activités communes. Si, par exemple, une bibliothèque avoisinante utilise tel équipement de robotique, il peut être fort intéressant d’utiliser le même afin de favoriser les échanges, les activités communes, voire la mise en place de compétitions ou de concours.
Spécificités de la clientèle adolescente (13-17 ans)
Les adolescents représentent un groupe souvent difficile à rejoindre pour les bibliothèques. Paradoxalement, l’âge où les usagers sont le plus susceptibles de délaisser la bibliothèque est aussi celui où ils bénéficieraient le plus de ses services. La richesse émotionnelle et les pics de créativité associés à l’adolescence méritent d’être cultivés; la mise à disposition d’un lieu et d’outils à cet effet est alors d’autant plus pertinente.
Les défis associés à la mise en place d’un laboratoire de création où on veut faire converger les adolescents sont multiples. Comment miser sur l’inclusion de ces usagers sans que cela se fasse au détriment des usagers adultes? Doit-on nécessairement les isoler et leur fournir un espace exclusif, ou plutôt espérer que le partage d’un même environnement nourrisse la cocréation des savoirs? Malgré les apparences, les adolescents représentent-ils vraiment un groupe à ce point différent des autres types d’usagers des bibliothèques?
Ces questions méritent toutes d’être analysées, et c’est en multipliant les approches à travers l’expérimentation que les bibliothèques réussiront à mieux cibler les besoins technologiques, ludiques et créatifs des usagers adolescents. Outre l’évolution du Square Banque Nationale de BAnQ, celle des laboratoires de création des bibliothèques de Brossard, Laval et Repentigny (pour ne nommer que les plus récents) aidera, dans les prochaines années, à déterminer ce qui obtient le plus de succès auprès des adolescents. Ce guide se voulant vivant, il sera mis à jour au fil du temps afin de tenir compte des essais, erreurs, échecs et exploits liés aux initiatives visant les adolescents dans les laboratoires de création québécois[2].
Spécificités de la clientèle préadolescente (10-12 ans)
À mi-chemin entre l’enfance et l’adolescence, ne s’identifiant ni à l’une ni à l’autre de ces catégories, les préadolescents amènent eux aussi leur lot de défis, typiques de la segmentation de la clientèle à laquelle font face actuellement les bibliothèques publiques.
Encore ici, plusieurs questions se posent : doit-on nécessairement séparer préadolescents et adolescents, tant sur le plan des espaces que sur celui des équipements et des activités? Quel degré d’autonomie doit-on leur accorder, sachant que l’utilisation de certains des équipements suscitant le plus de curiosité n’est pas sans risque de blessures? Comment éviter que les enfants soient laissés sans supervision? Où se trouve le juste milieu entre gadget ludique et outil pédagogique?
Spécificités de la clientèle jeune (jusqu'à 10 ans)
Section en cours de réalisation
Réalités et gestion d’une clientèle jeune d’âges diversifiés, au cœur d’un espace unique
Section en cours de réalisation
Facteurs d’importance à considérer
La taille du terrain de jeux
La superficie disponible, évidemment, dictera le nombre et la diversité des fonctionnalités offertes, qui dépendront également de la possibilité d’effectuer des transformations dans l’espace envisagé. Par exemple, certains équipements nécessitent une ventilation particulière : la possibilité de mettre en place une telle infrastructure fera la différence au regard des options analysées.
On doit également planifier l’espace en gardant à l’esprit un élément fondamental : la trame collaborative inhérente à la philosophie des espaces maker. Une superficie minimale est bien sûr requise pour assurer un travail individuel efficace et sécuritaire, mais il faut savoir que les équipements sont très souvent utilisés par plusieurs individus à la fois. (on retrouve en annexes, plusieurs fiches techniques détaillées à cet effet).
L’espace de circulation envisagé doit ainsi permettre et même favoriser la présence d’une multiplicité de personnes. Même pour un type de travail minutieux et solitaire comme la postproduction audio, le contexte collaboratif propre aux laboratoires de création génère souvent la présence d’une équipe composée de deux, trois ou même quatre personnes. Les laboratoires de création se caractérisent donc très souvent par la présence de grandes tables de travail et de vastes couloirs de circulation.
Les budgets
La hauteur du budget dictera l’éventail des possibilités dans la réflexion initiale. Il faut garder à l’esprit que le laboratoire continuera d’évoluer après son ouverture et qu’un budget de maintien des actifs est essentiel, tant pour l’entretien des appareils que pour l’achat de consommables, le remplacement des équipements ou l’acquisition de nouveaux appareils.
De plus, il est inutile d’avoir un éventail d’équipements si aucun employé n’est présent pour accompagner l’usager dans la compréhension ou la manipulation, que ce soit dans le cadre de projets personnels ou lors d’une simple exploration menée par la curiosité. La clé du succès d’un laboratoire de création réside bien souvent dans la présence de ressources humaines qui se consacrent pleinement aux usagers, et par conséquent d’un budget de fonctionnement adéquat.
L’absence des ressources humaines nécessaires peut par ailleurs engendrer des risques au regard de la sécurité des usagers. En effet, selon les activités et les équipements, une formation préalable des utilisateurs, voire un encadrement constant peut être requis. À cet égard, il est essentiel de bien documenter chacun des équipements envisagés afin d’avoir une vision claire des exigences en santé et sécurité. Cette mise en garde est particulièrement vraie en ce qui concerne les machines-outils présentes dans un laboratoire de type Fab Lab (des fiches techniques, présentes en annexes, abordent cette question).
En résumé, dans un premier temps, il faut déterminer ce que l’on souhaite faire et placer les fonctionnalités envisagées en ordre de priorité. Par la suite, il faut confronter ces options au budget alloué et à la capacité de mettre en place les ressources humaines nécessaires à l’accompagnement, puis effectuer des choix. La taille des lieux est évidemment capitale dans le cadre d’un tel exercice. À ce sujet, deux cas se présentent bien souvent :
Un espace précis est disponible, et le choix des fonctionnalités se fait donc en fonction d’un certain nombre de mètres carrés, qui ne changera pas.
La direction des immeubles de l’institution demande de dresser l’inventaire des fonctionnalités désirées en détaillant pour chacune les exigences techniques (superficie requise, équipements, infrastructures immeubles, etc.) ainsi que le niveau de priorité. Une analyse des espaces potentiels (qui pourront être réaménagés ou construits) est par la suite réalisée.
Notes
Voir Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), Une bibliothèque pour tous – Guide à l’intention du personnel des bibliothèques publiques du Québec.
Voir aussi Comité d'idéation du projet Saint-Sulpice, Journée d’étude sur les adolescents — Synthèse des présentations et des discussions
FOURNEUX, Thomas, Organiser un makerspace autrement que par une approche matérielle, Biblio Numéricus, https://biblionumericus.fr/2015/10/24/organiser-un-makerspace-autrement-que-par-une-approche-materielle/ (consulté le 9 novembre 2017).
FOURNEUX, Thomas, Guide pour construire un makerspace dans une bibliothèque, Biblio Numéricus, https://biblionumericus.fr/2015/08/27/guide-pour-construire-un-makerspace-dans-une-bibliotheque/ (consulté le 9 novembre 2017).