La conception centrée sur les usagers
La cocréation et le développement de projets
Une association naturelle se fait souvent entre la notion de laboratoire de création et celle de cocréation, au point où l’on pourrait penser que l’un ne va pas sans l’autre. Mais qu’est-ce que la cocréation exactement, et pourquoi est-elle si souvent associée aux laboratoires de type Fab Lab et aux médialabs?
Comme son nom l’indique, la cocréation implique l’idée de partenariat ou d’interaction. L’objectif premier est de favoriser la rencontre des esprits, des expériences et des points de vue. Les laboratoires de création étant eux-mêmes des lieux qui visent à favoriser les échanges, il est facile de comprendre pourquoi on leur associe la notion de cocréation, que ce soit dans leur conception même ou comme mode de fonctionnement des activités qui s’y tiennent.
La structure de travail de la cocréation est articulée autour d’une prémisse fondamentale : l’idéation est plurielle et toutes les parties présentes peuvent y participer. Cette méthode permet de multiplier les points de vue, de trouver des solutions ou des avenues à explorer qui sortent des champs d’expertise de chacun mais émergent naturellement au sein du groupe.
Plus précisément, la cocréation permet de :
Rompre l’isolement et de tisser des liens entre différents secteurs de connaissance;
Multiplier les possibilités d’apprentissage, puisque chacun se nourrit des compétences des autres;
Réduire les risques d’erreurs ou de culs-de-sac grâce à la multiplication des points de vue;
Augmenter les capacités du groupe. Il ne s’agit pas ici d’une simple addition des compétences, mais plutôt d’une multiplication de ces dernières qui génère une force nouvelle. Comme le souligne Fadhila Brahimi dans un article sur l’intelligence collective, la cocréation permet de « construire un nouveau que l’on n’aurait pas imaginé seul. La complémentarité reviendrait à créer un assemblage pain au chocolat (pain au chocolat = pain + barre de chocolat). Alors que la co-créativité génère quelque chose de nouveau (ex. : caramel = sucre + citron + chaleur)[1] »;
Raccourcir les échéanciers en générant une accélération naturelle du processus créatif, dans chacune des phases d’un projet (remue-méninges, expérimentation, analyse, etc.).
Le processus de cocréation, si utile dans la phase de remue-méninges précédant la mise en place du laboratoire, est également fondamental dans le cadre de ses activités courantes. Pour favoriser l’émergence d’un tel climat collaboratif dans un laboratoire de création, il faut cependant s’assurer de la présence des éléments suivants[2] :
Des communautés d’expérimentateurs et de cocréateurs sur lesquelles il est possible de s’appuyer
Il faut favoriser le croisement d’experts et de passionnés de différents horizons, aux forces diverses, mais aussi de simples curieux qui, au fil des apprentissages et des expérimentations, pourront se transformer en spécialistes ou en fins connaisseurs.
De l’accompagnement
La force des laboratoires de création se situe non pas seulement dans l’accès à des équipements, mais surtout dans la présence de ressources humaines qui possèdent des connaissances et des compétences. Ces personnes agissent comme des facilitateurs et favorisent l’acquisition d’habiletés chez les usagers à travers les différentes phases d’un projet, notamment le développement et l’expérimentation. Car c’est bien d’avoir des idées, mais le passage du concept au produit final passe invariablement par un processus expérimental de prototypage et d’amélioration continue, marqué par le tâtonnement.
Un accès à une variété d’équipements
La cocréation suppose une succession d’essais et d’erreurs menant à un produit fini ou, au contraire, à un constat d’échec qui est lui-même générateur d’apprentissage. Mais afin de pouvoir expérimenter, il est essentiel d’avoir accès aux équipements et aux outils requis.
Avant de devenir un créateur, l’usager doit souvent passer par une phase importante d’apprivoisement et de bidouillage afin de se familiariser avec les équipements, puis de développer une expertise. Sans un accès facilité à des outils variés, la volonté de mettre en place un environnement de cocréation demeure un vœu pieux.
Des lieux de conception et d’expérimentation
La mise à disposition de lieux propices aux rencontres et aux échanges est fondamentale. Ce genre d’espace de travail est souvent qualifié, à juste titre, de « terrain de jeu ». C’est un lieu qui offre non seulement des équipements et des outils, mais également une déclinaison d’espaces qui favorisent le processus créatif et l’expérimentation : salles de réunion, espaces de travail, espaces de socialisation, etc.
Les parties prenantes au projet de laboratoire de création
Plus souvent qu’autrement, le projet n’impliquera pas que la bibliothèque. En effet, de nombreuses personnes et structures, autant à l’interne qu’à l’externe, peuvent être engagées activement dans sa réalisation ou encore être touchées par le processus de mise en place, et influencer tant la conception du projet que les livrables. Il importe donc de les avoir à l’esprit tout au long du processus de conception, particulièrement au début.
Dans le but de définir les besoins, les désirs et les attentes des différentes parties prenantes (en particulier ceux des futurs usagers), il est fortement suggéré d’organiser des activités de consultation ou de conception participative afin de circonscrire ou d’explorer les éléments suivants :
Les besoins et les désirs des usagers;
Les fonctionnalités envisagées;
Les possibilités d’intégration et de partenariats avec des entreprises et des organismes;
Les meilleures pratiques en matière de développement d’espaces et d’activités[3].
Une telle démarche permet généralement de dégager des constats, de préciser les mandats et de lancer certaines pistes de design qui peuvent avoir une influence considérable sur le projet.
Par ailleurs, en ce qui concerne les parties prenantes internes, qui sont plus intimement liées au projet, il est évidemment essentiel de les identifier rapidement afin de les intégrer dès les premières phases.
Tableau 1. Prise en compte des parties prenantes internes
Partie prenante interne | Éléments à prendre en compte |
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Bibliothèque |
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Service des immeubles |
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Service des technologies de l’information |
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Service des communications |
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Service des finances |
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Service des ressources humaines |
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Service de la programmation des activités |
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Tableau 2. Prise en compte des parties prenantes externes
Partie prenante potentielle externe | Objectifs de chaque partie prenante |
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Commanditaire(s) |
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Milieu scolaire |
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Milieu des technologies |
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Profiter de l’expertise existante
Il n’y a rien de plus frustrant, dans le processus de mise en place d’un laboratoire de création, que d’avoir fait de longues recherches et consacré un temps précieux à la mise en forme de ses idées et à l’élaboration d’un document administratif pour finalement se rendre compte qu’une partie du travail avait déjà été réalisée par d’autres institutions. Il est donc essentiel de dresser une revue de la littérature existante afin de connaître les pratiques déjà documentées et la réflexion qui a été faite sur le sujet, et de pouvoir concentrer ses efforts sur les enjeux réels qui touchent de près la bibliothèque et les usagers qu’elle dessert.
Il est vrai que, jusqu’à récemment, la documentation était assez rare en langue française (et même en langue anglaise), s’articulant souvent autour de concepts philosophiques ou théoriques alors que l’intérêt se porte surtout sur les questions très pratiques[4], notamment la mise en place des espaces et les fonctionnalités. Depuis quelques années, cependant, le concept de laboratoire de création a le vent dans les voiles et génère une documentation de plus en plus diversifiée. Le présent wiki de même que, lorsqu’il ne peut répondre directement aux interrogations, les Services aux milieux documentaires de BAnQ constituent un point d’accès d’une grande richesse offrant différentes ressources qui peuvent servir de base à la réflexion (par exemple, les multiples documents produits dans le cadre du projet Le Square Banque Nationale ou de BAnQ Saint-Sulpice).
Il ne fait nul doute que des questions très concrètes vont se poser; il ne faut pas hésiter à contacter collègues et autres institutions, ou même à voir s’il est possible de faire une visite organisée dans des laboratoires déjà en place. Mais l’expertise existante ne se limite pas au savoir-faire développé à l’extérieur. Afin de créer une structure qui se développera organiquement au sein de la bibliothèque et de générer de l’enthousiasme par rapport au projet, un inventaire des forces internes est fortement conseillé. Il faut cependant garder en tête que l’expertise recherchée pour les laboratoires de création ne se traduit pas nécessairement par des diplômes, mais bien plus souvent par un intérêt personnel chez certains employés dont on ignore parfois beaucoup de choses.
Une telle démarche permet de dégager une expertise interne précieuse et d’assurer une appropriation plus importante et plus concrète du projet : celui-ci devient alors le projet de tous les employés et pas seulement d’un petit groupe.
Adopter le mode du bêta perpétuel
La mission première d’un laboratoire de création est de favoriser l’expérimentation de technologies de pointe, de permettre la réalisation de projets novateurs et d’organiser des activités autour de pratiques émergentes. Cette orientation entraîne une part d’inconnu quant à l’avenir : quels seront les équipements qui susciteront l’intérêt des usagers et la passion des créateurs dans deux ou trois ans, et quels seront les types d’activités qui y seront associés? Puisqu’on ne peut prévoir l’avenir, il est recommandé de mettre en place un mode de conception et de fonctionnement dit de bêta perpétuel.
« Concept issu du milieu du développement logiciel, le bêta perpétuel implique que le produit ou le service n’est jamais achevé, qu’il est en constante amélioration ou mutation, selon l’usage observé et les besoins exprimés par les usagers.
Ce mode de fonctionnement, qui inclut l’usager dans le processus de développement et d’amélioration, permet une adaptation facile aux changements et la mise sur pied rapide de nouveaux services. Il assure que l’on ne concevra pas des secteurs inutiles ou inadaptés et que l’on n’acquerra pas de matériel qui ne servira pas, puisque, d’une part, à [son ouverture, le laboratoire de création] ne sera ni achevé ni immuable, et d’autre part parce que la rétroaction des usagers guidera l’amélioration continue de l’espace. […]
II faut donc planifier les espaces afin qu’ils soient malléables puisqu’ils seront peut-être appelés à se transformer, à accueillir de nouvelles fonctions ou à carrément disparaître. L’espace doit être conçu pour demeurer aussi "flexible, modulable et facilement adaptable que possible[5]". »
Notes
Fadhila Brahimi, « Les 7 avantages de créer en intelligence collective », Le blog du personal branding, 2 mai 2010, www.blogpersonalbranding.com/2010/05/les-7-avantages-de-creer-en-intelligence-collective/ (consulté le 12 septembre 2017).
Éric Seulliet, « Les 4 ingrédients pour innover par l’expérimentation et la co-création », Harvard Business Review France, 2 juillet 2014, www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2014/06/2406-innover-par-lexperimentation-et-la-co-creation/ (consulté le 12 septembre 2017).
Pour plus de détails, voir sous l’onglet Autres documents : Benjamin Bond, Médialab BAnQ — Contexte et cadre théorique du Médialab, op. cit.
Certaines sources externes demeurent incontournables, en particulier le site de la Fablab Foundation, qui regorge d’informations précieuses, même si celles-ci exigent un lourd travail d’adaptation à la réalité québécoise ou canadienne.
Voir sous l’onglet Autres documents : Benjamin Bond, Médialab BAnQ — Composantes du volet physique du Médialab,Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), 2015, p. 12-13.